La station Ternes est fermée ? Rassurez-vous, Gaieté est ouverte !"
Dans cette rame de métro bondée qui se dirige poussivement vers le terminus de Charles-de-Gaulle-Etoile, des sourires illuminent soudain les visages fermés des femmes en tailleur et colliers de perles et des hommes en costume-cravate: Vincent, 43 ans, conducteur de métro depuis 15 ans, aime détendre ses passagers de sa voix nasillarde.
Lorsque la rame s'approche de Nation, à l'autre bout de la ligne 2, le conducteur s'empare de son micro et annonce "l'opération sourire, sponsorisée par un grand magasin, qui vous permettra de gagner des chèques-cadeaux". Dans les voitures, affirme-t'il, "se trouvent des collecteurs de sourires, chargés de repérer les gagnants et de leur remettre un prix. Il s'agit peut-être de votre voisin." Personne n'est dupe, mais l'annonce égaie la rame. A l'arrivée, Vincent ouvre la porte de sa cabine et salue les passagers. De temps en temps, l'un d'entre eux lui adresse un petit signe. "Comment allez-vous ? Cela fait longtemps que je ne vous ai pas eu !", lui glisse parfois un habitué.
Car le conducteur commence à être connu des passagers de la ligne 2. Les premiers jours de l'année nouvelle, il souhaite ses bons voeux,, "un métro encore plus propre et qui sent toujours aussi bon"; à la St Valentin, le 14 Février, il demande aux célibataires de la rame de lever la main; la Sainte Bienvenue, le 30 Octobre, lui donne l'occasion de raconter l'histoire du fondateur du métro parisien, Fulgence Bienvenue, et la St Nicolas, est prétexte à une distribution de bonbons. Le 1er Avril, comme par hasard, "la station Anvers est inondée", annonce le haut-parleur. Même si le risque est minime et que "les pompiers de Paris sont déjà sur les lieux", les passagers sont priés de fermer toutes les fenêtres, ce qu'ils se mettent à faire sans rechigner, avant de découvrir, à la station suivante, que le conducteur s'est moqué d'eux.
Vincent aime "inciter les gens à se parler". Rien ne l'ennuie davantage que des rames silencieuses et tristes qui font des
transports quotidiens, une corvée . En cas d'incident, le conducteur ne se contente pas du laconique "ce train ne prend plus de voyageurs". D'un ton posé, il annonce une "mauvaise
nouvelle" et explique la situation, en ponctuant son message d'un "vraiment désolé" qui semble sincère.
Les communiqués facétieux ou informatifs du conducteur de métro appartiendront-ils bientôt au passé ? Sur la ligne 1, qui parcourt la capitale d'est en ouest en suivant l'axe historique matérialisé par les Champs-Elysées, certaines rames, automatisées, fonctionnent sans conducteur depuis le début du mois de Novembre. Fin 2012, sur la première ligne du métro parisien, tous les trains seront automatiques.
Sur la 2, Vincent continuera à faire du métro un lieu convivial.
Olivier Razemon, pour Le Monde.