Une huile qui a de la patate
ou comment un journaliste écolo est devenu industriel du recyclage
Récemment, une boîte de com lui a conseillé de rebaptiser son entreprise Proximeo, parce que "ça sonne mieux". "Pas question" a répondu Grégory Gendre qui aime trop "Roulemafrite" (www.roulemafrite.fr), le nom de la société, futur label pour la collecte et le recyclage des déchets
"Au début, quand les gens entendaient ce nom, les gens pensaient que j'avais pété un câble: aujourd'hui, c'est le respect" raconte le patron de cette PME à l'enseigne estampillée "développement durable" (4 salariés, 180.000€ de chiffre d'affaires) qui deviendra peut-être un jour leader du recyclage de proximité des emballages ménagers.
Ancien journaliste, transfuge de Greenpeace, Grégory Gendre, 33 ans, n'a pas les deux pieds dans le même sabot. Sensibilisé au recyclage par l'affaire du "Clémenceau", porte-avions désaffecté errant de port en port à la recherche d'un chantier acceptant de le désamianter, ce natif d'Oléron saute sur l'occasion quand un compère marseillais monte un business de récupération.
A Oléron, son île natatle, qui passe l'été de 30.000 à 300.000 habitants, restaurants,
campings, résidences en location ne savent que faire de leurs vieilles huiles de friture. En 2006, Gendre crée une structure associative, bientôt rejointe par 90 adhérents. Avec un utilitaire
Renault, Roulemafrite collecte les bidons d'huile usagée. Transportée jusqu'à une station de filtration où les "bonnes" huiles sont recyclées pour servir de carburant pour engins de chantier,
tracteurs, taxis travaillant en bicarburation.
L'affaire se développe. En 2008, lors de la première édition des Entrepreneurs d'Avenir organisée par
l'Université de Tous les Savoirs, Gendre rencontre Arnaud Mourot, le patron d'Ashoka France. Séduit par une démarche reproductible, ce dernier l'introduit dans son réseau. Devenu "Ashoka fellow"
au terme d'un parcours du combattant qui l'oblige à affiner son modèle, Gendre bénéficie d'une bourse (qui lui paie son salaire pendant 2 ans) et des conseils de "business angels" en marketing et
finance. En prime, l'accès à un réseau d'entrepreneurs sociaux travaillant sur des problématiques environnementales proches.
La société change de braquet avec l'autorisation du Ministère de l'Intérieur de faire tourner le petit train touristique d'Oléron avec le carburant recyclé. Une vitrine qui lui ouvre un marché potentiel de ...140 millions d'huile usagée. Et le convainc, associé à un labo de Poitiers, d'appliquer son savoir-faire à d'autres déchets (nourriture, coquilles de moules), revalorisés notamment pour la plasturgie.. Devenue société coopérative d'intérêt collectif (avec accès désormais aux prêts des banques et aux crédits de Bruxelles), Roule ma frite essaime. A Charleville Mézières, Limoges ou à La Réunion... Et les grandes entreprises (Veolia), qui avaient naguère snobé Gendre, réfléchissent avec lui à de nouveaux horizons. Cerise sur le gâteau : un partenariat facilité par Ashoka avec eco-Emballages, qui souhaite démultiplier à l'échelle nationale son expérience en circuit court sur les emballages ménagers. Pas mal pour un entrepreneur qui ne s'est jamais rêvé une huile !
Jean-Gabriel FREDET pour Le Nouvel Observateur.