Six éducateurs ont choisi de se confiner avec les enfants dont ils s'occupent. Inédite, l'expérience est riche d'enseignements.
Personne n'était là pour les applaudir et pourtant… Lundi soir, sous le soleil de Provence, six héros sont sortis en toute discrétion, après quarante-cinq jours passés en apnée dans un monde d'enfants. Ils s'appellent Cécile, Jessica, Julie, Lola, Solène et Hervé. Educateurs, ils viennent de vivre - à leur initiative - sept semaines, sept jours sur sept, 24 heures sur 24, avec seize petits pensionnaires de La Verdière, une maison d'enfants à caractère social (Mecs) cachée dans les lisières de Montfavet, un ancien village avalé par Avignon.
"N'écrivez surtout pas 'foyer', je déteste ce mot", sourit sa directrice, Fabienne Alleaume. Elle plaisante mais pas complètement. Alors on écrira plutôt que c'est un lieu d'accueil pour ces enfants qui n'ont pas la chance d'avoir une famille en capacité de veiller sur eux.
S'ils manquent de soutien parental, les petits de la Verdière, âgés de 6 à 16 ans, ont en tout cas une sacrée équipe autour d'eux. Réactivité, mobilité, adaptation. Ces mots sont rares dans le monde de la protection de l'enfance., mais ils guident les choix de l'équipe en place.. Heureusement. Car pour Lara Mazelier, la directrice générale de l'Advsea (Association départementale de Vaucluse pour la sauvegarde de l'enfance à l'adulte) qui chapeaute La Verdière, la situation aurait pu déraper.:" Depuis le début de la crise, , on a beaucoup parlé des hôpitaux et des Ehpad. mais le monde de la protection de l'enfance est resté invisible. C'est scandaleux, comme si l'on découvrait maintenant que nous aussi nous fonctionnons 365 jours sur 365. Jusqu'au 15 Avril, aucune consigne du Ministère des Solidarités et de la Santé ! Jusqu'au 21 Avril, même pas de masques ! "
Immersion instructive
Spontanée, l'initiative des six éducateurs volontaires au confinement a donc soulagé l'équipe, qui a réussi l'impossible en 48 heures : réduire le nombre de ses protégés de 28 à 16 (12 sont retournés dans leurs familles, suivis de très près par d'autres éducateurs), prévoir 5 réservistes prêts à prendre le relais (si l'un des confinés venait à craquer, ce qui n'a pas été le cas ), mais aussi convaincre les juges et les directions de l'enfance du bien-fondé de l'expérience, afin d'obtenir les autorisations nécessaires). Bref, autant d'exploits dans l'exploit !
Hervé Roussel confirme n'avoir encore jamais vécu, en 25 ans d'expérience, une immersion aussi riche d'enseignements : "Habituellement, on se relaie entre éducateurs, douze heures au maximum et jamais la nuit. Ces 45 jours nous ont mis au plus près de ce que les enfants vivent au quotidien, des bruits de tuyauterie à l'inconfort des literies en passant par le brouhaha permanent de la vie collective. C'est épuisant. Soumis aux mêmes conditions qu'eux, nous avons mieux compris la source de certains énervements."
La Verdière est pourtant loin d'être l'un des pires lieux du genre. Certes, la peinture rose saumon peine à cacher la vétusté des bâtiments et les couloirs carrelés font un boucan d'enfer quand les petits foncent au réfectoire. Mais l'ensemble respire une certaine sérénité, grâce au grand parc qui l'entoure. Assis à l'ombre des mûriers, , les enfants regardent ces adultes masqués faire irruption dans leur petit monde.
Une bulle affective
Voilà encore 2 jours, Diego, Emmy, Julie, Marwan et les autres savouraient leur petite bulle sanitaire. Le "best of des meilleurs moments ? : "La boum, la chasse aux oeufs à Pâques et les parties de foot." N'oublions pas le badminton, l'autre activité phare des 45 jours. Même les ados sont tristes que l'expérience ait pris fin.
Pour Fabienne Alleaume, c'est l'autre grande leçon de ce moment de vie : "Nous avons compris combien le roulement entre les adultes qui s'occupent d'eux crée de l'insécurité et donc de l'angoisse chez les enfants. En étant confinés avec les mêmes, ils ont pu tisser des relations durables. C'est le retour à une valeur fondamentale : la sécurité psychique et affective que nous devons à tous ces enfants qui nous sont confiés."
Le Covid-19 pour le meilleur, qui l'eût cru ?"
Guylaine Idoux, envoyée spéciale à Montfavet (Vaucluse)