Ils y avaient pensé comme on s'imagine un jour devenir astronaute ou président de la République. Sans vraiment y croire. Devenir journaliste ?
Quand papa est ouvrier aux chantiers navals ou maman immigrée
et célibataire, le rêve paraît inaccessible. Les grandes écoles de journalisme
?
Coûteuses et ultrasélectives : plus de mille candidats - souvent venus de Sciences-Po ou de prépas privées - pour une quarantaine de places dans les plus prestigieuses.
Pourtant, Pierrick, Adama, Hayat ou Laure ont trouvé « la » solution : une préparation gratuite et intensive aux concours des treize établissements reconnus par la profession. Un training de pointe, proposé bénévolement par des journalistes en poste.
Géré par l'association la Chance aux Concours, ce programme a
étécréé en 2007 par des jeunes diplômés et des anciens du CFJ (Centre de
Formation des Journalistes). Il propose
à une quinzaine de jeunes boursiers triés sur le volet des cours intensifs le week-end, des tutorats, une familiarisation avec le monde des médias.
Et surtout cette formation leur donne confiance... « Ils sont horriblement complexés à cause de leur anglais et de leur culture générale, qui sont de forts marqueurs sociaux. Alors, on
leur a prévu aussi des cours pour ça », dit Aline Richard, directrice de la rédaction du mensuel « la Recherche » et préparatrice bénévole.
Bilan : près de la moitié des boursiers sélectionnés ont
intégré une école de journalisme. Un score à faire rêver les grandes écoles (de
commerce ou d'ingénieurs) qui organisent
des opérations similaires au nom de l'« ouverture sociale ».
Ainsi démarrent de belles histoires d'ascension sociale :
- Adama, 24 ans, élevée en banlieue parisienne avec ses trois soeurs par une mère célibataire, auxiliaire de vie, a commencé sa carrière académique avec un BEP, travaillé pour financer ses études et franchi les étapes jusqu'à un master de littérature comparée francophone africaine. Grâce à la Chance aux Concours, elle a été reçue au CUEJ, la fameuse école de journalisme de l'Université de Strasbourg.
- Bernard (pseudo, NDLR), enfant d'immigrés asiatiques, a franchi le filtre de l'Institut français de Presse de l'université Paris-II (555 dossiers pour 23 places cette année !). En passant de la Seine- Saint-Denis à la rive gauche à Paris, il dit avoir « changé de planète » : « Les
codes, les repères, rien n'est pareil.
- Pierrick n'aime pas trop ces images d'Epinal misérabilistes. « Mon père était ouvrier, mais il m'a beaucoup aidé. » La prépa lui avait permis d'intégrer l'école de journalisme de Toulouse.
Il vient de remporter le « Tremplin de Radio-France des jeunes journalistes ». Lauréat parmi une centaine d'étudiants, il a droit à un CDE d'un an dans la maison !
En ce pot de fin d'année, en juillet, chacun se réjouit des succès des autres. Tous disent :
« Sans la prépa, on n'y serait pas arrivés. »
Au nom de la promotion des « minorités visibles », fallait-il favoriser des candidats d'origine immigrée ?. « Surtout pas, insiste David Allais, le coordonnateur. Nous avons banni critères ethniques. Nous savions qui recruter uniquement des
boursier, élargirait automatiquement les origines.»
En effet, le public de la Chance aux Concours est ethniquement plus varié que le vivier habituel des grandes écoles ; ça tombe bien, le CSA réclame inlassablement de la « diversité » dans les médias.
JACQUELINE DE LINARES pour Le Nouvel Observateur